lundi 23 janvier 2012

Le partage de connaissances.


L'histoire nous apprend que la connaissance et la culture ont toujours été le fait d'une minorité - du moins jusqu'à une période récente ; par l'exigence du contenu, sans doute, mais d'abord et surtout par les multiples difficultés d'accès, spatiales et temporelles, mais aussi sociales et politiques, idéologiques. Le contrôle de l'information et de la communication est un enjeu fondamental pour toute société. Les hommes ont compris cela depuis des millénaires : l'art de la guerre et de la paix repose sur un tel contrôle ; les pratiques commerciales et les échanges s'appuient sur lui ; l'éducation et tout processus d'acculturation le supposent ; la chose publique l'exige.



Une nécessité renouvelée par les progrès technologiques :

Les entreprises n'ont pas attendu la notion de «knowledge management» pour en prendre conscience. Néanmoins, l'objet et les enjeux qui sont aujourd'hui développés sous ce nom présentent un caractère profondément nouveau et sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Les vingt ans qui viennent de s'écouler ont créé dans ce domaine plus d'évolutions et de mutations que les 2000 ans qui les ont précédés. La révolution industrielle avait forgé un modèle économique fondé sur la transformation des ressources matérielles naturelles pour satisfaire les besoins des individus et des sociétés. Mais nous sommes à présent confrontés de toutes parts à l'insuffisance de ce modèle.
Le savoir - inséparable de ses conditions d'accès et de maîtrise - devient lui-même une ressource à part entière, et exige désormais d'être traité comme tel. Il devient même la ressource par excellence du secteur entier de l’activité économique, étant à la fois objet et moteur du développement. L'intelligence économique repose sur ce constat. Mais le savoir est immatériel et ne saurait se traiter sur la même base que les biens et services traditionnels. Les technologies de l'information et de la communication le rendent à peu près instantanément et simultanément disponible en tous points du globe, transgressant tous les processus traditionnels d'acquisition et d'utilisation de la connaissance et des savoir faire. La synergie collective, mondiale, créée par cette profonde mutation, amène l'entreprise à penser et développer des représentations et des valeurs partagées qui lui permettent d'envisager l'avenir sur une base nouvelle et de renouveler ses processus de décision, à tous les niveaux de l'entreprise.

Optimiser chaque prise de décision :

La théorie de la décision s'appuie sur le postulat de rationalité. Ce dernier se fonde sur l'idée que chaque acteur agit, par les décisions qu'il prend, au mieux de ses intérêts, quelles que soient la nature et la forme que ces intérêts peuvent revêtir, des plus objectivement descriptifs aux plus normatifs. Il convient donc de s'intéresser aux composantes de ce qui les constitue. Nulle structuration du travail ou de l'organisation ne saurait aujourd'hui faire abstraction du rôle que joue, dans cette rationalité :
·       La gestion des connaissances et des savoirs : expertises (métier, compétence, client), état du marché et de la concurrence ;
·       La capitalisation des expériences ;
·       La mise en perspective des potentiels ;
·       L'interrogation de bases de connaissances partagées comme source «d'intelligence collective» ;
·       La culture de la mémoire et de l'histoire ;
·       Le rôle croissant des TIC ;
Un acteur décisionnel ne peut, en fait, construire une véritable stratégie qu'en fonction de la qualité du système d'informations et de connaissances - de tous ordres - dont il dispose. Seule la validité des représentations qu'il possède confère à une action individuelle ou collective une véritable utilité opérationnelle. Le nerf de la guerre est le renseignement ; sans lui, aucune décision, aucune théorie stratégique ou managériale, aucune conception de l'organisation ne peut prétendre à une efficacité réelle.
Or toutes ces notions se développent aujourd'hui sous le nom de «knowledge management».
La réflexion a démarré en tentant de comprendre le contexte et la finalité du Knowledge Management, dont voici une définition simple.

Définition simple :

Le « Knowledge Management » (KM) est une démarche de gestion ou de "management" des connaissances reposant sur un double mouvement :

Le premier consiste à structurer et organiser la collection et la capitalisation des informations clés de l’entreprise : cela consiste à recueillir, trier et classer l’ensemble des ressources documentaires, des expertises métiers, des facteurs de compétences, des projets de création ou d’innovation, etc.

Le second mouvement consiste à susciter, sur cette base mise à la disposition de tous, des échanges, des réactions, des commentaires, des notes qui permettent un enrichissement, une création de valeur, une réflexion prospective.
C’est en définitive la constitution d’une mémoire "vivante" qui permet de maintenir et de faire évoluer les connaissances et le savoir faire de l’entreprise, tout en alimentant de nouvelles perspectives stratégiques.

La constitution de cette mémoire repose sur trois activités distinctes :

1. La production de documents

L’objectif n’est pas ici d’aborder les problématiques techniques du Knowledge Management mais simplement de relever que cette démarche implique un comportement contributif de chaque acteur de l’entreprise. Néanmoins, ces contributions ne sauraient s’élaborer sans un certain nombre de règles, permettant de produire des documents utilisables par le système et ses contraintes techniques. D’un traitement de texte ou d’un tableur, par exemple, à un mini réseau ou à une infrastructure Intranet complète, il y a une distance notoire ! Il convient en effet d’identifier les rôles des acteurs et les flux d’informations souhaités ou autorisés. Cela s’opère sur la base de la description des process techniques et de la taxinomie complexe qui a été retenue pour structurer et gérer l’information.

2. La capitalisation

C’est en effet cette taxinomie qui va constituer le principe directeur de la capitalisation des savoirs. Gestion électronique documentaire (GED), Groupware, moteur d’aide à la prise de décision, etc. La problématique est strictement celle de la structuration de la mémoire. L’idéal serait d’approcher du fonctionnement de la mémoire organique, mais en décuplant, grâce à la technologie, ses capacités de stockage. Il faut concevoir la capitalisation, en fait, comme de l’organisation de la pensée, et non comme une simple base de donnée relationnelle.
C’est ici que la technique reprend ces droits, devenant cause formelle de la capitalisation.

3. La diffusion

La diffusion s’opère à chaque niveau en formulant des requêtes. Il s’agit d’obtenir la bonne information, au bon moment, en intégrant la problématique des attentes tacites, c'est-à-dire non nécessairement formulées
. Il faut donc, là encore, que la technique permette d’identifier et de mettre en œuvre les modes d’accès au savoir selon les deux méthodes, push et pull.
Ceci suppose donc d’avoir qualifié, en amont les types de connaissances stratégiques, domaine par domaine, fonction par fonction dans l’entreprise.

Le paradoxe, pour une entreprise dont le développement est intimement lié à la «pointe» de l'information, apparaît clairement : en matière de savoir, la méconnaissance des possibles exige une ouverture et une captation maximale. Mais la prolifération des sources d'accès et la difficulté à structurer des vecteurs de recherche efficaces crée ordinairement une pure inflation d'informations que l'on ne peut ni ne sait exploiter.


L'enjeu du Knowledge Management :

L'enjeu moderne est la modélisation d'une recherche rapide, opérationnelle, intégrant des principes d'exploitation paramétrables des informations. Celui qui possèderait un tel outil serait plus maître du jeu que les autres. Ce sont ces modèles, ces outils, on pourrait dire ces armes ultra-modernes, qui vont devenir l'objet du Renseignement et de l'espionnage. La rareté s'est déplacée de l'information à l'exploitation de cette information ; de la «variable» à «l'équation».
Il en va de même pour le management de la connaissance dans l'entreprise. Mettre en place un système de recueil de l'information peut être relativement facile (encore que peu d'entreprises le pratiquent efficacement). Mais la capitalisation n'est pas une simple accumulation quantitative ; il s'agit de restituer à la bonne personne l'information dont elle a besoin, au moment où elle en a besoin, et même de lui permettre d'élargir l'estimation initiale de ces besoins… Il y a là une véritable fécondité possible : permettre de créer un certain dynamisme de recherche et de création de valeur, sans que la personne n'ait eu elle-même, de manière exclusive – ce qui serait très «chronophage», – à maintenir une veille tout azimut et à aller elle-même à la pêche aux informations utiles.

L'accès au savoir :

Il est opportun de discerner avec soin les deux modes classiques d'accès au savoir :
·       Le mode «pull», dans lequel la recherche d'information est active, l'intéressé formulant lui-même sa requête à partir de son besoin explicite. Deux problèmes se posent dans ce cas : premièrement, l'identification du lieu (personne, site, expert) et de la manière (formulation de la requête, critères de recherche) d'obtenir la réponse ciblée ; deuxièmement la limitation du champ de conscience de l'intéressé, qui ne s'appuie alors que sur son système de représentations existant pour diagnostiquer le problème et estimer son besoin.
·       Le mode «push», dans lequel la recherche d'information est passive, l'intéressé recevant de l'information sans en avoir formulé la demande. Ce peut être le cas, par exemple, d'un suivi simple d'information (les médias), d'une veille structurée sur un secteur plus restreint ou encore d'une organisation du système d'informations prospectives, par Intranet par exemple, au sein d'une entreprise. Dans ce cas, les problèmes posés sont différents : premièrement, celui du repérage et de la pertinence des informations pour un acteur donné ; deuxièmement le temps nécessaire pour réviser et réadapter son système de représentations en fonction d'une intégration constante d'information ; enfin la capitalisation et l'exploitation transmissible et reproductible de ces informations - sans laquelle il n'est pas, rappelons-le de professionnalisme avéré.

·       Conclusion :

Lorsque l'on regarde les pratiques des entreprises en matière de Knowledge Management, on constate qu'il y a un écart sérieux entre les concepts développés dans la littérature ou la presse spécialisée… et la réalité ! Dans les faits, le Knowledge Management se présente encore comme une panoplie de méthodes et de modèles théoriques qui cherchent une cohérence pratique d'ensemble. Néanmoins, son caractère stratégique et ses potentialités de moteur de développement ne sont plus remis en cause : on peut affirmer qu'il ne s'agit plus d'un effet de mode.
Mais pour la grande majorité des entreprises, l'éclectisme des domaines à traiter et des sources qui leurs correspondent constituent la difficulté principale du KM. Et nombreux sont ceux qui croient encore que l'utilisation des technologies de l'information ou la simple mise en ligne d'un document est déjà du Knowledge Management.
Il y a donc une véritable révolution culturelle à intégrer : que ce soit dans le développement de la culture de partage, situant le pouvoir dans la créativité et l'innovation, et non plus dans la possession statique d'un savoir. Que ce soit par rapport à l'outil technique, comme une véritable composante d'un comportement professionnel, et non comme un simple gadget technologique.
Il y a enfin une véritable professionnalisation à développer pour faire du Knowledge Management une composante normale des compétences d'un professionnel, de son recrutement à la gestion de sa carrière. Sans aucun doute faut-il intégrer ces problématiques dans les formations même des ingénieurs et des techniciens, comme dans celle, plus prosaïque, des managers. Le but en est que chaque niveau décisionnel de l'entreprise, du plus haut au plus bas, utilise le Knowledge Management pour intégrer en temps réel la stratégie de l'entreprise et y collabore constamment par ses apports novateurs et ses propositions créatrices.