Il
fut un temps où il faisait bon être un «professionnel» ; puis il a fallu
représenter un «haut potentiel» ; aujourd'hui on ne parle que des «talents»...
ainsi vont les modes. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est qu'en tout état
de cause aucun vocabulaire employé ne saurait faire l'impasse sur la
«compétence»!
La compétence repose sur
savoir/savoir-faire/savoir-être
La
première notion qui vient à l'esprit, en effet, lorsqu'on parle de ressource
humaine, est la compétence, puisqu'elle est condition nécessaire – et non
suffisante – de la performance. Néanmoins quelques remarques élémentaires
s'imposent, car nous avons trop tendance à assimiler la compétence à la fameuse
trilogie savoir/savoir–faire/savoir–être.
La compétence n'est pas la connaissance
Avoir
lu «la natation en dix leçons» n'apprend pas à nager. La compétence ne saurait
se résoudre à la seule détention de connaissances ; elle implique une
performance pratique que seule l'expérience permet d'acquérir. Quel que soit le
métier et le domaine – qu'il soit technique ou qu'il relève d'une des
professions dites «du savoir» – la distinction entre les connaissances
théoriques et les performances pratiques demeure très importante.
Nous
semblons ainsi privilégier spontanément l'expérience sur la connaissance, et ce
n'est pas sans raison : c'est bien l'expérience qui permet en effet, par la
mise en œuvre répétée d'actions professionnelles instaurant une disposition
permanente, d'effectuer un travail avec facilité et pertinence, d'en mesurer et
contrôler les divers contextes et environnements. Le savoir-faire permet
indubitablement une nécessaire et importante économie de la réflexion : nous
pouvons accomplir des tâches sans reproduire à chaque fois l'itinéraire
intellectuel qui serait nécessaire à son explicitation, à sa justification, à
son argumentation.
La compétence n'est pas la seule maîtrise technique
Et
néanmoins, il faut nous garder d'un autre excès : à travers la cristallisation
de l'expérience en habitudes, un professionnel peut devenir moins conscient de
la façon dont il travaille. Le savoir faire devient alors une répétition ;
l'habitude empêche la compétence de s'exprimer et de se réaliser pleinement
dans un dialogue avec les autres et dans une recherche constante des
adaptations à réaliser.
Il
est communément constatable que dominer une activité, effectuer un travail avec
grande expérience, conduit souvent à ne plus s'interroger sur ses difficultés,
à ne plus observer le contexte où il s'exécute, à négliger les évolutions
d'environnements qui en conditionnent en partie le succès. On comprend mal les
problèmes rencontrés par les autres – collaborateurs, partenaires, clients,
fournisseurs... – pour aborder le même travail et l'on évalue difficilement les
évolutions techniques qu'il conviendrait éventuellement de prendre en compte.
L'absence de tout questionnement, de toute remise en cause devient alors le
frein principal à la dynamique d'innovation qui fait normalement partie du
professionnalisme avéré.
Il
est frappant de constater à quel point des années de pratique «pure», si elles
ont pu permettre – du moins dans un certain nombre de cas – d'acquérir une
certaine expérience de terrain, ont néanmoins fait perdre, peu à peu, la
conscience des connaissances qui en sous-tendent la véritable maîtrise. La
pauvreté culturelle et le manque de réactivité qui en résultent sont parfois
déconcertants, même chez des gens qui possédaient, au départ, un très haut
niveau de connaissance.
Sans
développement de l'action, la connaissance demeure inutile ; sans développement
de la connaissance, l'action devient stéréotypée et vite stérile. Si les deux
efforts sont inverses, et réclament des qualités presque contraires, il n'en
reste pas moins qu'ils maintiennent des exigences respectives tout à fait
propices à la créativité et à l'innovation.
La compétence n'est pas le comportement
La
nature du comportement, tout comme celle du tempérament, est sans nul doute une
composante importante de la compétence. Mais ce que l'on a coutume de désigner
sous le nom de «savoir être» fait rarement l'objet d'un apprentissage
professionnel. Et si certaines formations ou certaines actions de coaching
tentent d'en élucider les ressorts individuels, elles ont la fâcheuse tendance
à tourner davantage à la psychothérapie initiatique qu'à l'acquisition d'une
véritable maîtrise. Non qu'un travail sur notre psychologie ne soit pas utile,
mais il est insuffisant : l'introspection doit également trouver son terme et
son dépassement dans la relation aux autres. Entrer en soi-même est à la portée
de beaucoup ; en sortir pour véritablement «rencontrer» l'autre est plus rare.
Fonder une intelligence collective sur la base de cette rencontre, en
établissant de façon partagée les règles de son développement, est rarissime.
La
compétence relationnelle ne repose donc pas d'abord sur une spontanéité
brillante pilotée par les circonstances, les contextes et les environnements,
ni sur l'individualisme d'une image valorisante. Elle s'appuie sur une démarche
volontaire de construction d'une collaboration et d'un partage que l'on
développe avec soin dans le temps.
Chacun évolue sans cesse de l'incompétence à la
compétence en s'adaptant à une situation concrète
Certes,
la compétence s'appuie sur des connaissances, requiert une maîtrise technique
et suppose de savoir s'y prendre avec les autres et avec soi-même ! Mais tout
ceci ne nous donne pas encore la notion la plus fondamentale, la plus au cœur
de ce qu'est la compétence. Elle repose toute entière, en fait, sur une
adéquation, à un moment donné du temps et un lieu particulier de l'espace,
entre une capacité concrète de mise en œuvre et un besoin particulier et
circonstancié.
La
compétence repose, en revanche, sur une maîtrise des relations entre les causes
et les effets d'une action, qui en garantit la reproductibilité et le
perfectionnement dans le temps. Les causes en question recouvrent évidemment
des compétences techniques, mais aussi financières, humaines,
organisationnelles, conjoncturelles et contextuelles. Autrement dit, l'exercice
d'une compétence repose sur un professionnalisme avéré, c'est-à-dire conscient
de lui-même, exprimable, justifiable, communicable.
Autrement
dit, on ne peut pas dire que quelqu'un est compétent comme si c'était une
vérité ou une qualité "en-soi". Chacun évolue sans cesse de
l'incompétence à la compétence en s'adaptant à une situation concrète. Et la
compétence «clé» – celle qui, comme son nom l'indique, «ouvre» les autres –
consiste à mettre en œuvre les connaissances, les actions et les attitudes qui
permettent une telle adaptation en temps réel. C'est une méta compétence, en
quelque sorte, pour employer un jargon de spécialiste : une compétence servant
à demeurer compétent et à développer ses potentiels.
Et la compétence clé ?
On
ne le répètera jamais assez : les compétences clés ne se décrètent pas, elles
s'élaborent et se définissent dans un aller-retour fécond entre les
orientations, la stratégie de l'entreprise et l'expérience des professionnels.
En
effet, la notion de «compétences clés» ne relève pas d'une spécialisation
accrue dans un domaine particulier – sauf à parler de compétence strictement
technique –, défini en une formule stéréotypée et immuable par l'entreprise,
mais elle est au service d'une performance qui se construit de la synergie de
multiple dimensions (pour donner une image : ce sont quelques passe-partout et
non un gros trousseau de clés... qui finit toujours par trouer les poches). La
spécialisation a toujours pour effet de privilégier un aspect des choses aux
dépends des autres, créant des disproportions néfastes à la performance ; or de
plus en plus, c'est la capacité à saisir un problème dans son ensemble et à le
traiter sous ses différents biais, en fonction de la position «unique» d'un
professionnel, qui garanti une réactivité appropriée.
Au
sur-homme saturé, sans doute vaut-il mieux préférer «l'honnête homme»
responsable, c'est à dire celui qui est suffisamment conscient de ses défauts,
manques et carences pour tâcher de s'adapter au mieux à l'objectif qu'il vise,
en faisant preuve d'imagination et de créativité pour compenser les défauts,
manques et carences en question.